Humeur

La mandoline

 

Je n’avais pas réussi à l’utiliser la premier fois que je l’avais sortie fébrilement de son sac ridicule, cette fichue mandoline.
Il y avait bien toutes les pièces. C’était une belle mandoline. De celles qui se vendaient sur les marchés, avec ces monsieurs qui te tronçonnaient dix kilos de légumes et fruits pour te prouver que ça fonctionnait bien, à grand renforts de promotions pour que tu prennes le lot complet.

Elle était tout ce qu’il y a de plus banale, cette mandoline.
Sauf que c’était la mandoline de Tata Laurette.
La mandoline de quelqu’un qui avait décidé de nous quitter sans trop prévenir, comme ça.
Je n’avais rien voulu récupérer d’elle, sauf cette mandoline, parce que je n’en avais pas et que personne n’en voulait, sauf moi.

Alors cette mandoline, jusqu’à aujourd’hui, je l’avais rangée dans un placard. Bien au fond, bien cachée. Loin des yeux, loin du coeur.
J’en avais presque peur de cette mandoline, parce que je déteste l’emprunte mortuaire des objets qui ont appartenu à ceux qui s’en sont allés. Je leur préfère les souvenirs, moins imposants et réels.

J’imagine qu’elle ne l’a certainement jamais utilisée, la mandoline. C’était son truc, d’acheter, juste au cas où, et d’empiler dans son appartement, les années qui passaient.
Dans son sac d’origine, orange fluo, avec toutes les pièces en plastique, et de quoi faire des frites jusqu’aux rostis.

Et quand je l’ai ouvert, cette fois, j’ai senti son odeur, emprisonnée entre les pièces orange made in china.
La parisienne.
Ce parfum qui me prenait la tête et le coeur mais qui me rappelait ses cheveux tournicotés tout courts et blonds. Son col de doudoune bleue sans manche, imbibé à en crever de cette odeur que je me prenais dans les narines quand elle me serrait fort dans ses bras du haut de son mètre cinquante cinq, à tout casser.

Et ce matin, j’ai souri devant ma mandoline.
J’ai eu le courage de tout imbriquer, de tout sortir du sac, et de laisser partir, avec l’odeur de la parisienne, celui du deuil, des souvenirs et de la tristesse de son départ.

Ce matin, la mandoline a découpé mon chagrin et a laissé partir, en paix, ce qu’il restait de triste au fond de moi et m’empêchait de penser à elle et à nos bons moment, sereinement.

Je me souviendrai longtemps, comme d’une libération, de ce dernier moment de douceur et de tendresse, plantée devant le prospectus racoleur qui m’explique comment tailler mes légumes de toutes les épaisseurs possibles.

Délia ♥ le coeur rempli jusqu’à ras bord.

5 Commentaires

Commenter

En publiant ce commentaire, vous autorisez la collecte de vos informations (adresse e mail et IP) qui ne seront utilisés qu'à cette fin précise. Pour plus d'informations sur la collecte de données consultez mes mentions légales.