Humeur

La femme de ma vie a 92 ans et elle s’appelle Rose

Ma grand-mère a tout de suite pris une grande place dans ma vie.
Ma maman a eu son arrêt maternité, et elle est repartie travailler. J’ai donc passé mes mois suivants jusqu’à la maternelle avec ma mamie.
J’ai des bribes de souvenirs : des épluchages de légume devant Julien Leppers, ma cuillère de ricorée “avant qu’elle mette la bouche dedans” devant les mythiques feux de l’amour qu’on regardait sous une petite couverture, les nuits sans sommeil où elle me prenait sur ses genoux et où on regardait les voitures passer pendant qu’elle me racontait sa vie d’avant.
Je me souviens de la nuit de la naissance de ma petite soeur. Jetée à 2 heures du matin sur le parking, elle à son habitude si pudique, vêtue de sa chemise de nuit, les cheveux pétards, en chaussons, me récupérant et m’emmenant dormir chez elle en attendant l’heureux événement.
Je me souviens des journées dans les bois, de ses sourires devant mes progrès, de son amour innondant ma petite personne. De ses larmes de bonheur, vues si souvent.

Je me souviens de moi, qui grandit, avec toujours derrière moi cette femme, si petite, avec son si grand coeur. Je réalise enfin. Cette mère, aimante, qui a tout donné à sa famille, à son mari et maintenant à ses petits enfants.
Cette femme blessée par le départ de son âme soeur, puis de deux de ses enfants par le cancer. Jamais je n’oublierai ses mots devant la peine “prenez moi à la place”. Rien qu’à y repenser, les larmes me montent.

Je me souviens les prémices de son Alzheimer, où on ne comprenait pas, où elle s’amaigrissait en oubliant de manger, où elle a finit par attirer l’attention en oubliant d’éteindre son gaz, où elle a finalement atterri à l’hôpital, refusant de se battre pour vivre, allant jusqu’à refuser de manger.

Et c’est là que j’ai compris : c’était mon tour de me battre, pour elle, comme elle l’a fait pour moi pendant tant d’années.

De longues heures, à la regarder, à lui parler, la voir pleurer, refuser la vie. Et puis du mieux. On l’a tous forcée à se battre. Si petite, mais si importante.
Finie la vie seule, la maladie avait gagné trop de terrain : physiquement tu es une guerrière samouraï du troisième âge, mais la tête tourne à l’envers, comme tu le dis si souvent.
Une maison de retraite plus tard, tu trouves enfin la paix et le repos, tes yeux retrouvent leur amour, leur calme. Tu es de nouveau celle que j’ai connue. La plus belle des femmes du monde, avec ta peau ridée, ton sourire calme, tes cheveux toujours bien coiffés avec ton peigne en corne et la même laque qui pique les yeux. Tes mains, si douces et ton odeur de savon.
Ton air rieur, ton sens du partage, à toujours aider ceux que tu appelles tes “petits” vieux mais qui sont en réalité tous plus jeunes que toi d’une dizaine d’année.
Ton air râleur quand quelque chose te déplaît.
Ton sens de l’humour.
Ton petit accent portugais que tu ne saurais cacher.

Et toujours ton amour, qui déborde, qui me remplit, qui me pousse au delà de mes limites.

Ta vie, difficile, et jamais une plainte, pas une.

On me dit souvent que j’ai un caractère de battante et que je suis déterminée, mais si je le dois bien à quelqu’un, c’est à toi. Parce que je t’ai toujours vue comme un modèle exemplaire.

Je préfère ne pas penser au jour où tu partiras, parce que tu n’es pas éternelle et que je le sais, mais je sais déjà que j’essayerai d’honorer la promesse que je t’ai faite, celle où tu m’as interdit de pleurer le jour de ton départ. Toi qui, ironiquement, verse ta petite larme de bonheur chaque fois que l’on s’embrasse et que l’on se prend dans les bras pour nos câlins, avant que je te laisse jusqu’à ma prochaine visite.
Je veux me souvenir de toi, te sentir pour toujours auprès de moi, et je sais que ce sera le cas, car tu m’as donné un peu de toi, je porte même ton joli prénom.

Je ne pourrai jamais te remercier assez d’être celle que tu es, et que tu sois là où pas, je veux que le monde entier le sache, je me battrai, comme toi.

Tu ne passeras jamais ici, toi qui pensais que les virus internet pouvaient me rendre très malade physiquement, mais Je t’aime. Nul autre ne saurait prendre ta place dans mon coeur.

 

 

 

8 Commentaires

  • Ton article est vraiment émouvant… Je suis contente que ta grand-mère ce soit battue et qu'elle aille mieux à présent 🙂
    Sincèrement je n'ai pas voulus le lire au début, parce que je savais que j'allais pleurer… Ce que j'ai fais. Je suis trop faible face à tant d'émotions !
    Et merci merci pour l'article, je l'adore !

    • Merci Madame Poppy :-), maintenant elle pète le feu la petite mamie!
      J'ai versé ma petite larmichette en l'écrivant, ça venait du fond de mon coeur.
      Merci à toi d'avoir pris le temps de le lire et de me laisser ce petit mot ♥

  • Je me suis beaucoup reconnue dans ce billet, je suis également très proche de ma grand-mère, elle compte énormément pour moi. J'ai vécu 13 ans avec mes grands-parents, 13 ans depuis ma naissance en fait. Quelques années après le décès de mon grand-père, ma grand-mère est partie vivre en maison de retraite. Nous nous étions aperçus qu'elle se "laissait aller" chez elle, elle sautait des repas et s'affaiblissait, elle semblait avoir un peu perdue le goût de vivre. Depuis, elle va beaucoup mieux et c'est un vrai bonheur de la revoir sourire, dynamique, enjouée ♥

    J'ai été très émue à la lecture de ton billet, et je ne peux te souhaiter que plein de bonheur à venir encore avec ta grand-mère ♥

    • C'est une proximité très étrange pour ma part, je ne lui raconte pas vraiment ma vie, on partage du rire et du fait divers, mais on s'aime.
      Tu as vécu un long moment avec!
      Je pense que c'est quelque chose de très difficile à vivre de perdre celui qu'on aime à cause du temps qui nous rattrape, l'important c'est qu'elle soit redevenue elle-même et qu'elle vous donne du bonheur.

      Merci beaucoup Claire! ♥

  • Salut!!
    C'est un hommage très vibrant et très touchant que tu rends à ta mamie. Je suis persuadée qu'elle est fière de la femme que tu es devenue!
    Et c'est un peu grâce à elle que tu es celle que tu es maintenant,comme toutes les mamies,elle t'a transmis des valeurs,de l'amour,de beaux souvenirs….un grand et si beau héritage que toi-même tu le légueras comme tu seras maman à ton tour.
    En tout cas,ta grand mère est très belle et je le trouve lumineuse,très forte sur cette photo.

    Bisous!!!Et,merci pour cet article très généreux!

    • Coucou!
      Merci, je suis contente d'avoir réussi à retranscrire de façon fidèle ce qui se trouve au fond de mon coeur!
      Je pense qu'elle l'est, si ce n'était pas le cas, elle me l'aurait montré, elle est aussi très franche.
      Je suis persuadée que oui, mais ce sera difficile d'être aussi aimante et patiente qu'elle, c'est quelqu'un d'exceptionnel!
      Merci beaucoup, c'est la photo que je préfère d'elle, souriante et heureuse.

      Plein de bisous, merci à toi pour ton joli commentaire ♥ !

  • C'est très émouvant. Et me fait penser à ma grand-mère, que j'adorais et qui nous a quittés. Vous avez une très belle relation, ta grand-mère et toi, et c'est un cadeau que d'avoir conscience de tes sentiments pour elle. Trop souvent, c'est lorsque les gens nous quittent qu'on se rend compte à quel point on les aimait. Je vous souhaite encore de belles années de complicité et de tendresse.

    • Merci Annie!
      Je pense qu'on peut tous retrouver nos grand-mères, sauf cas très rares de mamie aigrie …
      Je suis de ton avis, j'aime mieux savourer ce que j'ai pendant que je le peux encore, après il sera trop tard, et ça marche avec tout!
      Merci à toi, je suis heureuse qu'elle ai déjà vu tant de nos vies, en plus elle va bientôt devenir arrière grand mère! 🙂

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